L’Abbaye de Hautecombe, nécropole des ducs de Savoie

L’abbaye de Hautecombe au bord du lac du Bourget © Savoie Mont Blanc / Zvardon

Récemment, je suis allée visiter un haut-lieu de l’histoire savoyarde: la nécropole des ducs de Savoie installée dans l’église abbatiale de Hautecombe près du lac du Bourget. Ce site insolite, au coeur d’une nature luxuriante et au pied d’une montagne abrupte tout au bord de l’eau, incite à la méditation et à l’immersion dans l’histoire de France.

C’est une étonnante architecture néogothique du XIXe siècle qui vous accueille à l’entrée puis dans la nef de l’abbatiale. Pour une abbaye fondée au XIIe siècle, on est dès lors curieux de savoir ce qui a nécessité une reconstruction dans un style si chargé.

De l’architecture cistercienne au baroque troubadour…

Construite par des moines cisterciens au XIIe siècle, l’abbaye de Hautecombe fut fondée sur des terres offertes par le comte Amédée III de Savoie.

Moi, Amédée, comte de Savoie, avec le suffrage de mon épouse, je donne à Dieu et à la bienheureuse Marie, à Amédée, abbé d’Hautecombe, et à ses frères du même lieu, tant présents que futurs, sans aucune restriction frauduleuse, la terre allodiale que j’ai ou que j’ai le droit d’avoir, sur la rive du lac de Châtillon, comprenant prés, champs, arbres fructifères et infructifères, etc., appelée autrefois Charaïa et Exendiiies et actuellement Hautecombe. (Extrait de la donation à l’abbaye de Hautecombe de terres appartenant à Amédée III)

C’est le duc Aymon de Savoie qui prit l’initiative au XIVe siècle de construire, au coeur du site monastique même, une chapelle à la mémoire de ses ancêtres, faisant ainsi de l’abbaye de Hautecombe la nécropole des ducs de Savoie.

L’abbaye connut rapidement la prospérité puis devint une véritable puissance féodale aux pouvoirs étendus. Du XIIe au XVe les comtes et ducs de Savoie se firent inhumer dans l’abbatiale. Mais le XVe siècle marqua le début de sa décadence et de sa ruine progressive jusqu’au XVIIIe siècle. A la Révolution, les bâtiments religieux furent transformés en faïencerie, ce qui altéra plus encore l’architecture déjà fortement remaniée au cours de restaurations précédentes. Pendant cette période de troubles, la capitale des Etats de Savoie déménage de Chambéry à Turin et c’est à la basilique de Superga que les ducs de Savoie sont inhumés.

Le Traité de Vienne de 1815 provoque le rattachement de la Savoie au Piémont, et en 1824 le duc Charles-Félix de Savoie et roi de Sardaigne décide de racheter l’abbaye en ruine à titre strictement privé. Il ordonne la restauration de l’ensemble architectural en conservant le plan d’origine. Il choisit Ernesto Molano, architecte piémontais, pour diriger le chantier.

Nef de l’abbaye de Hautecombe © Savoie Mont Blanc / Lansard

C’est le commanditaire lui-même qui désira restaurer l’abbaye dans un style baroque troubadour, un goût romantique de l’architecture gothique, très en vogue au XIXe siècle. Le chantier fut très rapide puisqu’il ne dura que 2 ans et l’ensemble des travaux étaient pratiquement terminés en 1826.

Le style troubadour aussi bien en peinture, sculpture ou architecture se développe au XIXe siècle, au moment où l’architecture gothique connaît un regain d’intérêt en tant qu’architecture représentative d’un certain âge d’or de l’Eglise catholique. Il se caractérise surtout par une reprise et une profusion des motifs décoratifs gothiques, grâce à l’utilisation du stuc, plaqué sur les éléments architectoniques. Ce style chargé, parfois à la limite du bon goût, se reconnaît facilement par rapport à la plus grande subtilité du gothique originel, dans lequel décor et architecture sont finement mêlés, contrairement au style troubadour qui plaque un décor sur une architecture, masquant ainsi la structure même du bâti.

On peut  parler à Hautecombe de style baroque troubadour dans la mesure où le style néo-gothique est poussé à son extrême avec un certain maniérisme. De plus, à l’instar du style baroque de la fin de la Renaissance, il théâtralise l’espace architectural en mêlant architecture, sculpture et peinture. On peut l’observer aisément sur le traitement de la voûte du transept de l’abbatiale.

Voûte de la croisée du transept de l’église abbatiale

Un lieu de mémoire

En tant que commanditaires de la restauration de l’abbaye, Charles-Félix de Savoie et sa femme Marie-Christine de Bourbon-Siciles sont tous deux mis à l’honneur de chaque côté de la nef dans l’église abbatiale par deux statues monumentales réalisées par deux sculpteurs italiens. Tandis que la duchesse est représentée en bienfaitrice des pauvres et des arts, son mari trône avec le sceptre royal dans la main droite. Les sculptures sont réalisées dans un style troubadour également, représentant les deux personnages royaux dans des costumes médiévaux, représentés avec finesse et force de détails.

Benedetto Cacciatori, Charles-Félix de Savoie, 1830

Giovanni Albertoni, Marie-Christine de Bourbon-Siciles, 1857

Alors que son époux décède en 1831, Marie-Christine poursuit les travaux d’embellissement de l’abbaye : agrandissement des bâtiments monastiques, érection de la tour du phare, réalisation de stalles dans la nef. Elle mourut en 1849 et fut inhumée à son tour dans l’abbatiale.

Plan des monuments funéraires de l’abbatiale

Dans les bas-côtés de la nef ainsi que dans l’abside se succèdent les monuments funéraires et les cénotaphes (ne comportant pas de corps) des différents membres de la famille des ducs de Savoie depuis le Moyen Age, proposant ainsi une promenade à travers une histoire dynastique riche et complexe.

Détail du cénotaphe de Thomas II de Savoie (+1259) © Alain Devisme

La figure de Thomas II de Savoie est l’une des plus remarquables de la nécropole puisque le comte est représenté vivant, dans un costume à l’antique rappelant celui des généraux de l’armée romaine, accoudé à un lion qui représente le courage.

Détail de pleureuses entourant les gisants © Alain Devisme

Des dizaines de figues de femmes pleurant la mort des défunts accompagnent les gisants sur les monuments funéraires et les cénotaphes. La précision de leur représentation, dans des postures et des attitudes toujours différentes, leur confèrent un caractère véritablement touchant.

Le dernier roi d’Italie, Humbert II de Savoie, y a été inhumé en 1983 ainsi que son épouse la reine Marie-José en 2001. Ils font partie des 41 membres de la famille de Savoie à être enterrés dans l’abbatiale.

Une mise en valeur moderne

Cénotaphe de Sybille de Bagé (1294+)

C’est une très jolie visite audioguidée automatique de 30 minutes que propose la Communauté du Chemin Neuf en charge de la gestion de l’abbaye. Pour ma part, c’était la première fois que j’utilisais un audioguide de la sorte. La visite se fait en groupe avec un audioguide classique mais qui est déclenché pour tout le groupe en même temps par la personne de l’accueil. L’ensemble du groupe entend donc la même chose au même moment. Les commentaires incluent également des indications pour guider le groupe (du type: « avancez-vous pour que tout le monde puisse voir », « orientez vous à droite », « attention aux marches en descendant ») qui permettent d’assurer une cohésion du groupe pendant la visite. L’éclairage sur les gisants, les voûtes, les tableaux ou les sculptures s’anime automatiquement pendant la visite au fur et à mesure que les commentaires défilent, ce qui permet au visiteur de bien comprendre ce qu’on veut lui faire regarder.

Evidemment, le visiteur n’est pas du tout autonome et on ne peut guère s’attarder si on le désire sur telle ou telle oeuvre présentée. Cependant, l’atout majeur de cette visite permet de faire entrer un maximum de personnes en un temps bien défini: la visite dure exactement 30 minutes et un départ toutes les 7 minutes permet de ne pas créer de bousculades. L’abbatiale est un lieu de prière toujours en activité et il faut pouvoir gérer à la fois sa fonction spirituelle et touristique sans heurts.

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Informations pratiques:

Abbaye de Hautecombe 3700 Route D’Hautecombe, 73310 Saint-Pierre-de-Curtille

Fermé le mardi, Ouvert de 10h à 12h et de 14h à 17h30 (les horaires varient selon la saison touristique, se renseigner!)

Entrée plein tarif : 3€ / tarif réduit: 1.50€ (étudiants, chômeurs, ecclésiastiques)

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